Révision de Solvabilité II : quels objectifs ?

Après une première adaptation en 2019 du règlement délégué de Solvabilité II qui portait sur les paramètres de la formule standard pour le calcul d’exigence en capital (SCR en Anglais), la révision actuellement à l’étude couvre certains articles de la directive Solvabilité II et l’harmonisation des procédures de rétablissement et de résolution (ordonnée) en cas de difficultés financières importantes (ou de défaillance) d’un assureur. Ces changements seront précisés par des modifications du règlement délégué à une date ultérieure. Ces amendements entreront en vigueur probablement en 2025 ou 2026.

Les propositions de la Commission s’appuient notamment sur l’avis publié par l’EIOPA en décembre 2020. L’EIOPA avait mené une étude d’impact de ses propositions et l’ACPR a fait le point sur la révision en cours dans sa revue de mars 2022.

Lire aussi : Solvabilité II : le point sur les propositions de révision de la directive et leurs impacts

Après une période marquée par la crise de la Covid-19, la Commission considère que le cadre de Solvabilité II fonctionne globalement bien et atteint les objectifs fixés. Elle note toutefois que certains éléments peuvent être améliorés. Avec plusieurs objectifs :

  • assurer la résilience du secteur face à de possibles nouvelles crises
  • favoriser la relance au sein de l’Union européenne grâce aux investissements long terme des assureurs sur les marchés financiers et dans l’économie réelle
  • et mieux contribuer à la réalisation des priorités de l’UE (en particulier l’union des marchés de capitaux et le pacte vert pour l’Europe).

La Commission note en particulier que :

  • l’environnement de taux d’intérêt bas et les risques associés ne sont pas bien pris en compte. La méthodologie de calcul des besoins en capital (SCR) selon la formule standard SII limite par exemple l’impact du scénario de baisse des taux quand ils sont négatifs.

Les graphes ci-dessous montrent que les différences entre la courbe de taux de référence de fin 2021 et celle simulée après application du choc à la baisse de la formule standard ne sont perceptibles qu’au-delà d’une maturité de 7 ans (maturité de 20 ans dans le cas de l’arrêté annuel de 2020).

Révision de Solvabilité 2 - Chocs de la courbe des taux 2021

Révision de Solvabilité 2 - Chocs de la courbe des taux 2020

Cette situation s’est progressivement aggravée depuis l’entrée en vigueur de Solvabilité II jusqu’à fin 2020 comme le montre le graphe ci-dessous.

Révision de Solvabilité 2 - Evolution des courbes de taux sans risque

Avec la méthodologie actuelle, la courbe des taux est extrapolée à partir du dernier point liquide, le LLP (cf. graphe ci-dessous). Ce point correspond à la maturité à partir de laquelle les marchés obligataires sont jugés insuffisamment profonds (20 ans actuellement pour l’euro), vers une tendance long terme, le taux forward ultime (UFR) (3,6% pour 2021, 3,45% pour 2022 et 2023 pour l’euro).

Révision de Solvabilité 2 - Courbes de taux sans risques S2

Cette approche crée des biais de valorisation des passifs d’assurance par exemple sur des engagements à horizon 25 – 30 ans (ou au-delà, comme des engagements de retraite), la courbe EIOPA pouvant s’écarter significativement de courbes de taux sans risque observables sur les marchés financiers.

 

Révision de Solvabilité 2 - Courbes des taux - France - 31-12-2021

Solvabilité II comporte des éléments qui dissuadent les assureurs d’investir en actions assureurs, bien qu’ils soient des investisseurs institutionnels prenant des positions sur le long terme. Pour mémoire, la charge en capital SCR dépend du type d’actions. Pour les actions cotées dans les pays de l’UE et de l’OCDE, cette charge s’élève à 39% de leur valeur de marché auquel s’ajoute (ou se déduit) un ajustement jusqu’à +/-10% selon la conjoncture sur les marchés actions (Symmetric Adjustment – SA). Cette charge en capital peut monter jusqu’à 49% +/-10% de leur valeur de marché pour les actions non cotées :

Révision de Solvabilité 2 - Participations stratégiques - Actions

Le SA vise à réduire le caractère procyclique des placements en actions en diminuant le coût en capital de ces placements quand les marchés sont bas (et ainsi réduire les ventes forcées juste après un choc de marché) et en l’augmentant quand ils sont jugés être en haut de cycle. Depuis l’entrée en vigueur de Solvabilité II, il a atteint plusieurs fois la valeur plancher de -10% notamment en 2020 (cf. crise sanitaire) et s’est approché à plusieurs reprises de la valeur plafond, comme indiqué ci-dessous.

Révision de Solvabilité 2 - Evolution du Symmetric Adjustment

Solvabilité II : quelles propositions d’adaptation ?

Dans ce contexte, la Commission Européenne propose plusieurs adaptations de la norme SII. 11 points clés sont à retenir :

1. Taux d’intérêt

Il s’agit de mieux prendre en compte l’environnement de taux bas (voire négatifs) et adapter SII à la réalité des marchés. Cette évolution passe par plusieurs étapes :

  • la modification progressive (sur 5 ans) du choc de taux utilisé dans la formule standard SII pour les calculs de SCR en tenant compte de facteurs multiplicatif et additif dans les scénarios Up et Down,
  • la modification progressive de la méthode d’extrapolation de la courbe des taux sans risque, la période de transition vers la nouvelle méthode s’étalant jusqu’en 2031,
  • la modification des coefficients de corrélation entre les SCR de spread de crédit et les SCR de taux quand ce dernier résulte du choc à la baisse, en réduisant les coefficients de corrélation de 50% à 25%.

En baissant globalement les niveaux des courbes de taux et les chocs à la baisse des taux, les impacts estimés de ces changements sur les ratios de solvabilité sont (très) négatifs (notamment pour les acteurs de branches longues).

2. Spread de crédit

L’Ajustement pour Volatilité (VA) vise à capter une partie du spread de crédit dans les calculs de ratios de solvabilité des assureurs et à réduire la volatilité court-terme de ce spread sur ces ratios de solvabilité. Il joue un rôle contracyclique. Il est constitué d’une composante permanente, calculée sur la base d’un portefeuille de référence représentatif du marché européen, et d’une composante macro-économique, qui vise à limiter le spread temporaire lié à une situation exceptionnelle. Les amendements envisagés visent à le rendre plus efficace en l’augmentant (potentiellement jusqu’à 85% de l’excédent de spread de crédit du portefeuille de référence au lieu de 65% par exemple actuellement) et en tenant mieux compte des expositions propres à chaque assureur (en particulier leur écart de sensibilité Actif – Passif). Ils visent également à améliorer les avantages de diversification et d’éligibilité des actifs pour l’ajustement égalisateur (MA).

Globalement, les impacts estimés de ces changements sur les ratios de solvabilité sont positifs.

3. Actions

Il s’agit sur ce point de soutenir l’investissement en actions au moyen de deux leviers d’action :

  • l’élargissement du spectre d’actions de l’Ajustement Symétrique (SA), avec des bornes passant de +/-10% à +/-17%,
  • l’élargissement des critères d’éligibilité de la classe d’Investissements Long Terme en Actions (LTEI) qui permet un traitement SCR favorable (ie. choc de 22% appliqué aux valeurs de marché au lieu de 39% pour les actions cotées dans les pays de l’EU et OECD, ou 49% pour les actions non cotées).

Globalement, les impacts estimés de ces changements sur les ratios de solvabilité sont positifs.

4. Risques de défaut de contrepartie

Pour les calculs de SCR à l’aide de la formule standard, il s’agit de mieux aligner le calibrage du risque de défaut des contreparties dans le cas des prêts hypothécaires avec le cadre applicable au risque de crédit dans le secteur bancaire, et de mieux prendre en compte les techniques d’atténuation du risque dans le cas des cessions en réassurance.

5. Marge de Risque (RM)

la modification consisterait ici à revoir le calcul de la marge de risque pour réduire son montant (calculé à l’aide d’un taux de coût en capital – CoC – de 6% actuellement qui serait réduit à 5%) et sa volatilité (grâce à l’introduction d’un facteur lambda), tout particulièrement dans le cas d’activités de long terme (eg. retraite).

Révision de Solvabilité 2 - Marge de Risque (RM)

Globalement, les impacts estimés de ces changements sur les ratios de solvabilité sont positifs.

6. Gestion des risques

Mieux prendre en compte les risques systémiques dans l’ORSA et développer un plan de gestion du risque de liquidité pour mieux l’encadrer.

7. Finance durable

Réaliser des analyses par scénarios pour identifier et évaluer l’impact des expositions les plus significatives aux risques de changement climatique et de biodiversité.

8. Modèles Internes (IM) de calcul du SCR

Communiquer les résultats du calcul selon la Formule Standard (SF).

9. Reporting

Rendre obligatoire l’audit indépendant du bilan SII, et revoir le rapport public sur la Solvabilité et la Situation Financière (SFCR).

10. Principe de proportionnalité dans l’application de la norme SII

Élargir les seuils d’exemption à plus d’assureurs au profil de risques jugé limité (en termes de nature, ampleur et/ou complexité des risques portés par l’assureur) et instaurer une gouvernance plus souple et un cadre de simplification, par exemple sur le cumul des fonctions clés et sur la mise à jour des politiques écrites sur la gestion des risques, le contrôle et l’audit interne.

11. Activités transfrontières

Renforcer le rôle et les pouvoirs de l’EIOPA dans le cas des activités d’assurance transfrontières (par voie de succursale ou en libre prestation de services) et la coordination entre les autorités locales de supervision.

Révision de Solvabilité II : Comment se préparer ?

Pour ceux qui ne l’ont pas déjà fait, notamment les assureurs ayant un profil de risque long terme, il est temps d’examiner les impacts des mesures envisagées sur les calculs de SCR. Ces impacts diffèrent d’un assureur à l’autre, par exemple en fonction de l’utilisation de la formule standard SII ou d’un modèle interne.

Ces exercices peuvent être réalisés sous différents scénarios et différents stress. Les assureurs peuvent également évaluer les impacts potentiels sur leurs allocations d’actifs et leurs stratégies de couvertures financières. Pour ceux qui ont un modèle interne (intégral ou partiel), pour ceux qui utilisent les USP ou pour ceux qui envisageraient une demande d’habilitation auprès du superviseur, nous les invitons à mettre à jour leurs études.

D’autres communications préciseront ces changements dans les mois qui viennent.

S’agissant des actualités réglementaires européennes, on notera également la récente publication d’une étude menée par l’EIOPA sur la modélisation du risque de marché et de crédit dans les modèles internes utilisés par les assureurs européens.