Le secteur de l’Assurance, déjà fortement régulé, a subi ces dix dernières années un véritable tsunami réglementaire. A la révolution Solvabilité 2 se sont ajoutées plusieurs réglementations ciblées (loi Eckert, Directive Distribution Assurance (DDA)…), et une mutation profonde des organismes de tutelle, avec la création, en France, de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), et, à l’échelon européen, de la European Insurance and Occupational Pensions Authority (EIOPA).

Une transformation en profondeur des organisations et des outils

De cette refonte des textes de loi et des instances a découlé une hausse significative des exigences en matière de gouvernance, de piste d’audit, de sécurité, de reporting et d’information clients. Pour produire ces éléments, les Assureurs ont engagé une transformation en profondeur de leurs organisations et de leurs outils, laissant escompter des bénéfices multiples, au-delà même du strict champ d’application des réglementations.

A l’heure de regarder dans le rétroviseur, les apports sont-ils foncièrement plus nombreux que les limites ?

Revenons une décennie en arrière, à une époque où les Systèmes d’Information de la majeure partie des Assureurs étaient constitués de couches hétéroclites d’outils de gestion, issues de quarante années d’histoire, dont les interfaces ne permettaient ni une pleine communication entre les outils, ni une harmonisation des formats. Les travaux opérationnels des Directions Techniques et Financières reposaient donc sur une utilisation extensive d’outils manuels (Excel) ou semi-automatiques (SAS), générateurs d’une charge de travail et d’un risque d’erreur importants. L’utilisation combinée de solutions bureautiques et logicielles conjuguée à une relative stabilité des métiers, favorisait la maîtrise des activités par des collaborateurs experts, souvent sachants historiques. Ce phénomène rendait moins prioritaires les besoins de documentation, laissant les organisations aux prises avec des modes opératoires et des guides utilisateurs, plutôt qu’en possession de véritables processus, correctement décrits et modélisés.

Des fonctions à plus forte valeur ajoutée

Dix ans après, les changements sont notables. Les métiers ont évolué vers des fonctions à plus forte valeur ajoutée, intégrant une dimension de contrôle plus importante et nécessitant une expertise plus poussée (notamment réglementaire). Les exigences Solvabilité 2 en matière de gouvernance ont également conduit à revoir les organisations et à mieux distribuer les responsabilités autour des fonctions clés. Les processus des assureurs sont désormais mieux maîtrisés, reposant sur des cartographies, des procédures et des dictionnaires de données. Un effort significatif a enfin été apporté à la couche décisionnelle du Système d’Information, permettant de produire à partir d’outils, avec un gain de temps important, les données nécessaires au reporting réglementaire et client.

Une rationalisation des outils et des processus encore insuffisante

Mais il y a de quoi rester sur sa faim. Compte tenu des enjeux de volume et de qualité engendrés par les nouvelles réglementations, une rationalisation plus systématique des outils et des processus semblait nécessaire. In fine, un écart subsiste en la matière avec le monde bancaire qui, avec les projets Bâle 2 et Bâle 3, a mis en place de véritables usines à flux et optimisé les outils de ses fonctions Finance et Risque. Dans l’Assurance, au-delà de la charge de travail liée aux nouvelles réglementations, cette automatisation trop partielle explique aujourd’hui la nette augmentation des effectifs, nécessaires aux activités opérationnelles, notamment sur les fonctions support. Qui plus est, les compétences nécessaires à ces ressources sont rares, rendant ces postes difficiles à pourvoir et complexifiant l’évolution des carrières sur le secteur. Le ticket d’entrée pour un collaborateur non Actuaire pour travailler sur de la modélisation stochastique, ou celui d’un comptable classique pour travailler sur des sujets d’études normatives, est par exemple particulièrement élevé.

Un facteur d’explication de cette refonte parcellaire des outils réside dans les coûts. Compte tenu des reports d’entrée en vigueur, les budgets projets ont été si conséquents sur plusieurs années que les petits acteurs ont différé ce qui pouvait attendre, tandis que de plus gros assureurs n’ont pas toujours été au bout de leurs programmes de transformation, laissant en suspens des sujets tels que l’industrialisation des systèmes décisionnels ou l’harmonisation des systèmes de gestion. Ces derniers voient désormais dans IFRS 9 et 17, mais aussi PRIIPs et DDA, l’opportunité d’aller plus loin dans la rationalisation. Néanmoins, à l’aune des derniers grands projets réglementaires, pouvons-nous légitimement attendre des résultats plus aboutis ?

La digitalisation, un espoir et une incertitude

Dix ans après le Big Bang réglementaire, la mutation du secteur Assurance est tout à fait visible : nouvelles organisations, nouveaux outils, processus et contrôles renforcés, qualité de données et solidité financière accrues. Cette transformation laisse aujourd’hui un sentiment d’inachevé, notamment concernant l’industrialisation des chaînes de valeur, qu’il convient d’intégrer et de faire cohabiter.

Ce constat amène à douter de la faisabilité ou de l’intérêt d’une telle démarche, en dépit des bénéfices liés à un meilleur fonctionnement des équipes (avec du temps dégagé pour des tâches à valeur ajoutée) et à la réduction des risques opérationnels. En effet, même chez les acteurs qui ont investi des moyens conséquents subsistent toujours certains processus échappant aux automatisations, notamment en raison d’un retour sur investissement trop flou. Les projets de robotisation autour de technologies innovantes de type machine learning, robotic process automation (RPA) ou data analytics constituent pour ces cas un espoir. Cet espoir porte également en lui une touche d’incertitude à laquelle la prochaine décennie devra apporter des réponses concrètes. Les décideurs du marché Assurance ne doivent plus se contenter d’envisager les concepts de digitalisation ou d’agilité comme de simples orientations à la mode, susceptibles de réduire les coûts à court terme ou d’embellir l’image de l’entreprise, mais comme la prochaine révolution nécessaire au traitement et à la maîtrise de l’information, avec les investissements pérennes qu’elle requiert.